En affirmant l'égalité, on ne nie pas nécessairement les différences entre les femmes et les hommes, mais elles doivent être interrogées afin de ne pas être un frein au développement personnel de chacune et chacun. L'accès ouvert de toutes et de tous à tous les métiers demande une déconstruction des images dominantes du « masculin » et du « féminin ».
Mais le gouvernement et des associations commettent une erreur en décrétant une « lutte contre les stéréotypes ». Pourquoi ? Parce que un tel mot d'ordre fait comme si tous les stéréotypes étaient mauvais et inutiles. Or toute vie sociale repose sur des stéréotypes. Au moment des élections, en France, on utilise les catégories « droite » et « gauche ». Mais ce sont des stéréotypes. Ainsi l'imaginaire de la gauche s'est construit autour de la notion de Progrès, permettant de rassembler les forces de progrès au second tour des élections.Or cette catégorie toujours utilisée, a-t-elle encore du sens lorsque la gauche inclut des écologistes qui remettent en question le moteur du « progrès », la croissance ? Cependant le terme résiste, comme stéréotype dans la mesure où l'on n'a pas inventé un nouveau stéréotype de remplacement.
Si la lutte actuelle pour l'égalité des femmes et des hommes est défendue par le gouvernement, alors l'ensemble de sa politique doit correspondre à ce principe affiché. Or il ne lutte pas contre les stéréotypes d'Etat sur le sexe et le genre. Pour montrer l'exemple, il devrait proposer la suppression de l'indication du sexe sur la carte d'identité. En effet, en imposant ce critère, le ministre de l'Intérieur estime que le sexe est une catégorie décisive pour définir un individu.
Au nom de quelle conception, de quelle idéologie (on notera que la première carte d'identité en France ne comprenait pas la rubrique « sexe »). Et pourquoi le ministre de l'Education Nationale ne lutte-t-il pas en toute priorité contre l'usage d'un stéréotype d'Etat et social, celui de « l'école maternelle » ? A chaque fois que nous utilisons ce qualificatif, nous renforçons, sans le vouloir, l'idée que lorsque l'enfant est petit, il a besoin de « soin », de « care », symbolisée par la mère, et qu'ensuite à six ans, il pourra entrer à la « grande école », celle de la Raison. Le clivage principal en Occident pour justifier les places différentes de la femme et l'homme – avec le Cœur et la Raison, est inscrit dans la catégorie « école maternelle ». Ce stéréotype a des effets négatifs sur la mise en œuvre de l'égalité entre les femmes et les hommes.
DES « MAUVAIS » ET DES « BONS » STÉRÉOTYPES
Des stéréotypes, c'est-à-dire des images simplifiées, structurent la vie sociale. Ainsi lorsque les touristes étrangers pensent venir à Paris, ils rêvent de la Tour Eiffel, de Notre Dame, du Louvre. La Mairie de Paris n'a jamais ordonné la lutte contre de tels stéréotypes au sein des offices de tourisme en montrant d'autres endroits de la ville, nettement moins attractifs mais qui sont tout aussi « réels ». Il s'agit de bons stéréotypes. Il faut donc se poser la question des « mauvais » et des « bons » stéréotypes, en ne faisant pas comme si tout stéréotype était une catastrophe. C'est d'autant plus nécessaire que le stéréotype mauvais est chassé par un stéréotype bon, et non pas seulement par sa dénonciation. Si les stéréotypes de la princesse et du soldat sont criticables, il ne suffit pas d'affirmer(même si c'est juste !) le droit des petits garçons à être princes et des petites filles à être guerrières, il faut se demander comment un petit garçon peut s'affirmer en tant que petit garçon et une petite fille en tant que petite fille. Sinon, s'il n'existe pas un nouvel imaginaire, alors il est plus que probable que les stéréotypes traditionnels perdurent. Prenons un exemple.
Pour la famille, avec le « mariage pour tous », les politiques sont devant un défi comparable. Si on supprime - à juste titre- les différences d'accès au mariage selon l'orientation sexuelle, il faut dans le même temps définir positivement aussi ce que sont le mariage et la famille aujourd'hui, lorsque l'un et l'autre ne reposent plus avant tout sur la différence des sexes. Là encore le principe d'égalité ne suffit pas à définir la famille contemporaine. Un nouvel imaginaire, avec de belles images, avec de nouveaux stéréotypes, doit être dessiné. L'existence de nouvelles structures familiales, de nouveaux modes de procréation ne dessine pas positivement le charme de la vie conjugale ou familiale. En plus du principe de l'égalité, d'autres principes doivent guider une politique ambitieuse sur le genre, comme sur la famille.
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